CHAPITRE 8

 

Si donc des représentants du règne animal
existent sur la Lune, ils seraient donc enfouis
dans ces insondables cavités que
le regard ne peut atteindre...

Jules Verne

"Autour de la Lune"

 

 

YENNOR

 

Le passage entre le sas et la salle suivante se fait instantanément; pas de passerelles à traverser ou de vastes couloirs... translation directe. La transition est brusque, une cinquantaine d'êtres de tous gabarits vaquent à diverses occupations dans cet énorme hémicycle; la plupart postés à des consoles multigrilles où une myriades de voyants scintillent.
- Vous avez sous les yeux notre centre de coordination...
Nous sursautons à l'audition de cette voix dans nos écouteurs.
- Approchez-vous et déconnectez vos casques!
L'humanoïde qui se présente à nous, tend une main amicale.
- Commandant Riad Alfan pour vous servir. Bienvenue sur la base lunaire de Yennor. Le colonel Angkor est resté à bord du Reconnaisseur, je prends la relève.
Nous sommes cloués sur place... la Lune! Inimaginable le saut dans l'espace que nous avons effectué en passant le seuil de lumière... Nom de Dieu! La vidéoliaison avec le Milkyway est rompue...
- Commandant! Il nous faut contacter nos astronefs, faute de quoi les astropilotes, n'ayant plus de nos nouvelles, passeront à l'offensive. Il serait très fâcheux pour nos deux peuples d'entacher ce premier contact par du sang versé inutilement.
Nous nous faufilons au pas de course entre les allées jusqu'à une console inoccupée.
- Tapez le code de votre navire sur ce clavier... lance l'extra-stellaire.
- Bob occupe-t-en! Transmet-leur de se mettre en veille et de se placer en orbite circumlunaire. Je te laisse le soin de régler cette histoire. Je suis avec le Commandant.

Du coin de l'oeil je détaille notre hôte. Sa corpulence est svelte, le visage halé est félin, les oreilles sont taillées en pointes, la bouche est fine et l'absence d'un nez tel que nous le concevons ne choque pas... seuls les yeux sont fantastiques, obliques et gorgés d'une lueur jaune variable; les six doigts de chaque main sont légèrement palmés. Le corps est engoncé dans une combinaison moulante où les seuls parements sont les distinctions du grade ainsi que des boîtiers latéraux fixés sur les hanches.
- Vous me dévisagez gravement Major, me déclare l'intéressé.
- Je reconnais que je suis un tant soit peu sur les dents Commandant... le premier contact avec une entité étrangère à la Fédération Galactique est toujours un moment de tensions internes extrêmes.
- Je conçois votre anxiété mais détendez-vous et suivez-moi. Vos officiers sont occupés pour un bout de temps, je vais vous présenter à notre Navigateur. Par ici s'il-vous-plaît.
Nous longeons une brève coursive et stoppons devant une porte barrée diagonalement.
- Ce sont des relais de téléportation à courte focale d'action, approximativement cent kilomètres, les interstations base-vaisseaux sont reconnaissables aux deux diagonales croisées.
La porte s'efface sur notre passage. Nous pénétrons dans une pièce faiblement éclairée; un bref éclat, une vague sensation de vertige et tout rentre dans l'ordre.
- Voyez-vous Major, commente mon hôte en franchissant le seuil du téléporteur, nous ne pouvons accepter une ingérence extrasolarienne dans les affaires internes terriennes. En effet, la stabilité entre les deux grandes nations est précaire. De plus, les Terriens ne sont pas préparés psychologiquement pour ce genre de confrontation... c'est une race belliqueuse!
- Je suis tout-à-fait d'accord avec votre point de vue, cependant, je considère que dans notre cas, il s'agit d'une question de vie ou de mort!
- Certes mais que s'est-il donc passé avec vos engins?
- Pourchassés par des navires ennemis, nous avions planifié l'effacement de notre trace hyperspatiale en translatant au travers d'un nuage baryonique... malheureusement, notre résurgence s'effectuée dans la périphérie directe d'un collapsar.
- Comment vous en êtes-vous échappés?
- En basculant une nouvelle fois dans le continuum-spatiotemporel et en traversant ainsi l'enveloppe critique du trou-noir...
- Audacieux! Je vous félicite d'avoir pris cette décision exceptionnelle vu le temps imparti.
- Merci! L'infrastructure des croiseurs a subi d'importants dommages, de même que l'électronique de bord. Mais le temps presse... Une race xénomorphe est en passe de conquérir et d'asservir toute la galaxie. De la réparation de nos vaisseaux dépend la liberté des peuples tombés sous le joug des gens de la Ligue de la Subversion; peu importe les moyens nécessaires pour la réussite de cette mission... nous devons vaincre!
- Que de fougue dans ces propos Major! Nous vous aiderons du mieux que nous le pourrons mais sans intervention directe... Ah! Mehnir, venez vous joindre à nous s'il-vous-plaît. Major je vous quitte quelques minutes, nous poursuivrons cet agréable entretien avec vos équipiers... Je vous laisse avec notre Navigateur.

Le commandant Riad Alfan s'éloigne à grand pas, me confiant à cet être bizarre qui me rappelle...
- Bonjour Monsieur, Mehnir Bashar Navigateur de l'Empire à votre service.
J'ai trouvé! Une marmotte! Il ressemble à une marmotte terrienne... le zézaiement en sus.
- Je ne m'offusquerais point Commandant Lorrain, mais cessez de penser aux marmottes! Vous faites une fixation telle sur ces bestioles que vous en perturbez mes fonctions.
Télépathe! Pff... j'ai à nouveau mis les pieds dans le plat.
- Je m'en voudrais de vous avoir froissé...
- tss... tss... sachez que je vous ai détecté et sondé dès votre passage de l'orbite de Jupiter. Nous vous aurions détruit si nous avions eu le moindre soupçon à votre sujet; d'ailleurs, le commandant Angkor s'est de suite enquis auprès de moi, son Navigateur, sur la marche à suivre. Le reste, vous connaissez. Sur Mir, capitale de l'Empire situé dans l'amas de Coma, à environ 250 millions d'années-lumière, la Navigation est un rite initiatique qui se transmet de générations en générations. Sans nous, les Sensitifs, le voyage spatial entre des points aussi distants serait hasardeux. Il est bien clair que je n'ouvre pas en permanence mon esprit, je deviendrais fou; je ne sonde que dans le cadre de mon service... vous pouvez penser en toute quiétude, je ne vous dérangerai plus.
- Mehnir, vous connaissez donc la mission qui nous a été impartie par le gouvernement central de la FedGal. Il faut que vous nous aidiez à réparer nos astronefs. Y a-t-il cette possibilité sur Yennor?
- Attention! Je vous arrête tout de suite. Je ne lis pas dans votre cerveau comme vous lisez un livre... je me contente de ressentir votre aura personnelle, d'analyser votre niveau émotionnel et de le traduire en un langage compréhensible pour mes supérieurs hiérarchiques. Quant à votre question, négatif! Nous n'avons pas d'accès direct avec la surface lunaire; nous effectuons par translation les rentrées et sorties de nos navires. Le commandant Alfan vous communiquera toutes les informations historiques utiles et nécessaires sur notre situation. Pour votre site d'atterrissage et votre fournisseur en matériel électronique, il y aura des risques certains. Vous agirez à visage découvert... Attention aux Terriens! Eux n'hésiteront pas une seconde, ils tenteront de vous capturer vivants afin de vous livrer aux militaires; faute de quoi, ils vous élimineront. Mais n'ayez crainte, vous trouverez sûrement des hommes sur qui vous pourrez compter, enfin je l'espère de tout coeur. Des questions?
- Vous avez dressé un tableau très noir de la situation sur Terre, malgré tout j'ai la conviction que nous y parviendrons. Reste la barrière linguistique. Le disque-message récolté sur le flanc de la sonde Voyager ne nous a pas livré un vocable terrestre complet.
- Vous passerez sous mnémo-activateurs et...
- ... NAVIGATEUR BASHAR EQUIPAGE NAVIRE ETRANGER AU RAPPORT DE SUITE CHEZ LE COMMANDANT JE REPETE...
- Ah! Un petit contre-temps, me lance mon interlocuteur, je vais arranger ce problème de suite. Un instant je vous prie.
D'une démarche claudiquante, mon guide se déplace vers une niche, tapote sur le clavier d'un petit écran, lequel s'illumine instantanément. Dans une langue mélodieuse il s'entretient avec son correspondant puis coupe la communication.
- Voilà Major! Le commandant nous accorde un délai. Suivez-moi!

Je lui emboîte le pas, gardant mentalement mes distances. Je ne me sens toujours mal à l'aise en compagnie d'un psi, surtout lorsque je ne le découvre après avoir été sondé! Je ne sais si mon barrage mental tiendrait le coup suffisamment longtemps. Cette fois-ci, le téléportation s'effectue sans anicroche. Ce sont Charles et Bob qui, débouchant d'une coursive, se portent à notre rencontre.
- Michel tout va bien. Nous avons contacté de justesse l'Eridan et le Milkyway; lesquels vont se placer en orbite lunaire... Nous avons eu de la peine à convaincre nos hommes de la véracité de nos dires, mais c'est chose faite. Tu te rends au briefing?
- Oui. Je vous présente le Navigateur Mehnir Bashar, c'est lui qui nous a "détecté" télépathiquement aux détours des géantes gazeuses.
Mes coéquipiers se raidissent ostensiblement lorsque je souligne la fonction psi de notre hôte.
- Enchanté, capitaines Fallow et Tisons du croiseur Eridan.
- Heureux de faire votre connaissance Messieurs... Je poursuis notre précédente conversation Major, vous passerez tous sous mnémo-activateurs avant de repartir pour la Terre. Deux langues vous seront administrées: le français et l'anglais... mais trêve de bavardages, nous sommes à destination.
Nous faisons halte devant une large porte à double battant sur laquelle sont apposés des hiéroglyphes.
- Ecriture galssyte je présume, lançai-je.
- C'est exacte. Entrez Messieurs!
L'un après l'autre, nous franchissons le seuil de cette vaste pièce. Un air glacial nous frappe le visage. Au centre trônent neuf caissons placés en étoiles. Des éclairages directes visent les neufs boîtiers, laissant dans la pénombre le reste de la salle. Un léger bourdonnement résonne lugubrement. Je frissonne intérieurement.
- N'ayez crainte... Cet aspect quelque peu rébarbatif et martial est nécessaire pour éviter tout gaspillage de place. Notre espace est limité sur la Lune et notre environnement planétaire est hostile. Bon! Maintenant, je vous prierais de bien vouloir vous étendre l'un après l'autre. Ne rabaissez que la partie supérieure du caisson. Vous ne sentirez rien, aucune perte de conscience. Parfait! Désormais, vous percevrez le son de ma voix par le truchement de l'interphone du casque de mnémo-activation. Détendez-vous... c'est parti!

Du coin de l'oeil j'observe à la dérobée mes compagnons, étendus immobiles sur cette matière souple et tiède, épousant la ligne de notre corps. J'ai abaissé sur mon front cette calotte où est suspendue une masse lumineuse en mouvement. Ma tête baigne dans cette lumière holographique... En fermant les yeux je vois défiler les montagnes de mon enfance, surplombant les prairies du domaine paternel, vastes étendues de pâturages où paissent des milliers de ruminants; dans le ciel turquoise, volent majestueusement trois khyrs. En contre-bas, un jeune homme court après les bêtes du cheptel... Jebel? Jebeeel! Je hurle son nom. Mon frère se retourne en me faisant de grand signes avec les bras... il est trop loin pour que je l'entende. A présent il fait nuit, nous sommes assis autour du feu... il manque Jebel. Papa s'est levé et est sorti à sa recherche car une horde de lygrons sévit dans la région... Mais moi je sais que...
- Michel! Michel réveille-toi! Bob me remue les bras.
J'écarquille les yeux et observe le visage jovial de mon ami.
- Ca va? s'enquit-il.
- Affirmatif Vieux! Charles est ok?
- Oui, oui... pas de problème.
Je me redresse avec peine et essuie prestement une larme qui tendait à couler.
- J'aurais peut-être dû vous avertir que le mnémo-activateur active les zones mémorielles profondes, explique l'extra-stellaire, et certains souvenirs peuvent ressurgir à la surface. Maintenant, je vous prierais de bien vouloir me suivre pour le briefing.
Par dessus mon épaule, je glisse un ultime regard dans ce lieu où le fantôme de Jebel s'est manifesté et flotte encore dans mon esprit. Nous cheminons en silence le long d'interminables couloirs puis nous obliquons sur la droite. Le panneau s'efface sur notre passage.

Tour à tour nous pénétrons dans le bureau du Commandant de la base lunaire, lequel nous convie à nous asseoir.
- Hé bien Messieurs, je suis ravi de constater que vous avez pris contact... Tant mieux! Grâce au don inestimable de notre Sensitif, nous avons pu distinguer que vos desseins n'étaient point militaires mais pacifiques... Ce qui nous a fait gagner un gain de temps considérable, mais venons-en droit aux faits. Le choix de ces langues, comme vient de l'énoncer mon Navigateur, est déterminé par votre zone d'atterrissage. Vous allez poser à proximité d'un pays neutre européen, à deux pas d'un centre de recherches nucléaires. Le danger étant trop important aux Etats-Unis et en URSS, pas question de vous y rendre. Sur cette carte géographique terrestre en tridi, votre site à les coordonnées suivantes: 46deg.12' de latitude Nord et 6deg.09' de longitude Est; ce qui correspond à une ville internationale nommée Genève. A sept kilomètres au nord-ouest siège le CERN, Centre Européen de Recherches Nucléaires. C'est là que vous acquerrez les composants nécessaires à vos ordinateurs de bord.
- Encore faut-il y entrer! fis-je circonspect.
- J'y arrive... un grillage est placé sur le pourtour du CERN, de plus un service de sécurité armé, avec des chiens, assure la protection intérieure en exécutant de fréquentes rondes tant de jour que de nuit. Qui plus est, vous agirez dans une zone frontière... les forces armées de la douane seront également en faction dans le secteur... cela ne va pas être une partie de plaisirs alors attention!
- Mmmh... , je hoche la tête d'un air dubitatif.
- Mehnir vous l'a déjà stipulé, nous sommes dans l'incapacité de placer vos cosmonefs en cales sèches... je suis profondément désolé. Nous vous aiderons dans le mesure du possible, n'ayez crainte! Diverses cartes détaillées de la région vous seront remises.
S'extirpant de son fauteuil, le colonel Alfan pianote sur l'écran mural qui s'illumine.
- Sur celle-ci, observez cette chaîne de montagnes dénommée Jura, dont le relief convient parfaitement à un atterrissage...
- Reste que nous serons à plusieurs kilomètres de notre objectif! Les moyens de locomotion sont primitifs.
- Sur ce point de vue, pas de souci à se faire, les translateurs portatifs qui vous équipent, pallieront cet inconvénient. Nonobstant cela, vous vous poserez impérativement de nuit... Je n'aurais de cesse de vous le rabâcher, si vous tombez dans les mains des militaires vous êtes perdus... N'hésitez pas à tirer s'il le faut. Je ne vous apprendrais pas votre métier Messieurs, mais faites-moi confiance... tout n'est pas négatif chez eux. Sélectionnez avec prudence et discernement les personnes que vous allez contacter.
Il se retourne, nous regardant l'un après l'autre droit dans les yeux. Son visage illuminé par l'écran est dur, seule la lueur de son regard semble attisée par un feu intérieur. Puis il se laisse choir dans son siège, faisant face à la surface lunaire.
- Je ne suis pas un moraliste, reprend-il d'une voix cassée, mais je viens de perdre cinq de mes meilleurs hommes par la faute des Terriens... Nous avions réussi à nous infiltrer dans leur programme de navettes spatiales. L'effectif pour ce genre de vaisseau est de sept personnes; le but était de provoquer une "rencontre" dans l'espace... oh pas grand chose, juste un contact pour les amener à réfléchir sur l'existence de la Vie ailleurs... Mais le sort en a décidé autrement; du matériel défectueux a amené cet engin à exploser quelques minutes après son décollage... une catastrophe autant pour eux que pour nous.
- Vous êtes-vous infiltrés une nouvelle fois dans le réseau?
- Négatif! Leur équilibre est précaire. Les préparatifs pour ce type d'opération sont énormes; l'équipe suivante est en formation. Les Terriens sont en passe de conquérir l'espace et le moindre grain de sable peut bloquer la machine. Par ailleurs, vu la rapide évolution de leurs techniques spatiales, nous avons dû démanteler peu à peu nos édifices à la surface de la Mer des Crises; nous obligeant de la sorte à nous retrancher sur la face cachée puis à l'intérieur même du satellite. Mon Navigateur vous expliquera le reste car, vous m'excuserez, le devoir m'appelle. D'autres questions?
Mehnir Bashar est resté muet tout au long de l'entretien, je ne sais s'il nous a sondé. Quant au Commandant, je le sens tendu. Ses explications m'ont conforté sur mes opinions vis-à-vis des Terriens... Nous serons donc sur nos gardes.
- Non Commandant, je vous remercie au nom de la Fédération Galactique pour votre précieuse aide dans notre quête de la Liberté.
- Réussissez Messieurs, c'est tout ce dont je vous saurais gré! Que le Grand Architecte de l'Univers vous protège...
Il accompagne ses paroles d'une vigoureuse poignée de main.

Ayant pris congé de notre hôte, nous flânons dans les couloirs de Yennor, précédés par la marmotte sensitive.
- Vous trouverez dans les locaux du hangar principal les différentes caisses fournies par notre laboratoire. Ces dernières contiennent des cônes de protection individuel de même que de l'or pour vos frais sur Terre.
- Merci Mehnir... une dernière question avant de nous quitter; avez-vous établi antérieurement des contacts avec les humains?
- Tout à fait exact, à plusieurs reprises nous avons été "surpris" par des hommes lors de prélèvement de faune et flore locale. La plupart du temps, nous évitons toutes relations directes avec eux. Plusieurs de mes confrères se sont faits recevoir arme au poing... et ont été sérieusement blessés. D'où l'emploi fréquent de paralysateurs. Très rares sont les humains avec lesquels un échange physique a été positif. Incidemment, nous avons appris qu'il y a environ quarante ans, lors d'une expérience sur la théorie des champs unifiés, les Terriens ont eu un contact avec des entités étrangères en créant une brèche dans le continuum spatio-temporel... Nous croyons savoir que le dialogue s'est engagé, mais malheureusement ces êtres, surnommés "petits gris" de part leur aspect, ne veulent pas que du bien aux humains. Ils ont prétendu venir du système solaire, sans plus de précisions. Nous n'en avons jamais interceptés mais nous savons que l'un de leurs vaisseaux s'est écrasé sur Terre et que les Américains ont sauté sur l'occasion... Toutes les tractations se sont déroulées naturellement sous le sceau du secret le plus rigoureux. Je tiens à relever que les remous créés par cette expérience dans les replis du temps et de l'espace ont attiré moult observateurs provenant de tout azimut. Cette recrudescence d'astronefs dans cette partie de la galaxie n'a pas amené que de bonnes choses...
- De quand date votre implantation sur la Lune?
- C'est une longue histoire... Je vais essayer de vous la résumer. L'empire galssyte a conquis tout au long de son règne les galaxies périphériques de l'amas de Coma. Durant cette période d'expansion, nous avons fait connaissance avec des êtres dont le métabolisme et le mécanisme d'analyse de la pensée sont radicalement opposés aux nôtres. Un brassage des technologies s'en est suivi. Les différentes philosophies comparées nous ont amenés à élaborer un vaste programme de restructuration gouvernemental et spatial. Nous avons édifié de vastes complexes hyperspatiaux aux Marches de notre Empire, servant de relais à des expéditions d'un genre tout nouveau. En effet, d'un commun accord, il a été décidé de lancer dans les profondeurs de l'espace inconnu des équipes de scientifiques ayant à leur bord un Navigateur originaire de la planète Shintô; leur don inné de cognitif étant reconnu d'utilité hyperspatiale.
- Si je comprend bien, vous êtes justement l'une de ces missions!
- Oui... mais hélas, lors de la dernière résurgence dans l'espace normal un "noeud" spatial nous a téléporté dans le voisinage directe de cette galaxie. Comme je vous l'ai précédemment expliqué, le remous spatio-temporel de l'expérimentation terrienne est venu s'inscrire sur nos cadrans. Il va sans dire que nous n'avons pas traversé des dizaines de millions de parsecs sans y laisser des plumes. Les platines principales de l'ordinateur central se sont volatilisées... coupant définitivement les ponts avec notre Mère-Patrie. Certains membres du vaisseau pilote ont souffert d'aliénation mentale irréversible de part ce transfert.
- Où se trouvent les restes de vos navires? s'étonna Charles.
- Le centre de contrôle, où vous avez été accueillis, est l'astronef de commandement. Sur les cinq autres éléments de la flotte, seuls trois ont réémergé à nos côtés... Nous avons payé un douloureux droit de passage à l'Inconnu. Nous nous sommes concertés et avons décidé de nous diriger vers ce petit système solaire qui faisait tant de tapage. Notre transporteur ayant subit d'importantes avaries, le voyage de retour a été compromis. En conséquence, nous avons choisi d'édifier une base permanente sur le satellite naturel de la Terre. Voilà tout l'histoire... peut-être un jour, une nouvelle mission galssyte posera son regard sur cette portion de l'espace et nous portera secours... mais un tel gouffre de parsecs est terrifiant. Pour beaucoup d'entre nous, cette situation est pénible autant pour nos familles restées sur Mir... Nous sommes à destination; vous trouverez tout ce dont vous avez besoin dans cet entrepôt... je vous laisse en compagnie de notre intendant, Milfred Niam. Quant à moi, je ne peux vous souhaiter que de réussir dans votre généreuse mission, que le Grand Architecte vous protège vous et vos amis... Adieu!
- Merci Mehnir, les mots ne sont pas assez complexes pour retranscrire ce que nous ressentons... lisez-le simplement dans nos coeurs et qui sait, aux hasards des chemins nous nous rencontrerons à nouveau.
La petite marmotte extra-stellaire s'en retourne le pas traînant. Je sens une onde de tristesse et de profonde amitié qui effleure mon esprit et qui se retire aussitôt. Les lourds battants blindés coulissent en silence, s'ouvrant sur une halle aux dimensions gigantesques. Une multitude de robots offrent à notre vue un opéra mécanique sans cesse renouvelé.
- Bienvenue Messieurs! Je me présente, Milfred Niam, intendant principal des fournitures galssytes.
Un humanoïde à la carrure imposante nous offre un large sourire et nous invite à le suivre.
- Le commandant Alfan m'a transmis les autorisations adéquates, et mes robots sont en passe de finir le chargement de la soute de ce Reconnaisseur. Nous effectuerons cette manoeuvre de transbordement dans l'espace.
- Affirmatif, c'est préférable. Je ne veux point risquer un alunissage... merci d'y avoir pensé Milfred.
- Encore un petit détail Major. Voici un porte-document contenant tous les laissez-passez nécessaire sur Terre. Une note y est annexée, vous donnant les coordonnées de notre base de secours. Elle est située dans un lieu difficilement accessible, dans le sud de l'Arabie... c'est un désert dans le désert: ar-Roub al-Khali. Les Terriens ont envoyé à plusieurs reprises des caravanes civiles et militaires dans cette région, certaines n'en sont jamais revenues. Des histoires terrifiantes circulent à son sujet: monstres, tribus cannibales, etc. Tant mieux pour nous. Je ne sais pas dans quel état se trouve ce relais mais il se peut que vous en ayez besoin. De plus, un cylindre verrouillé contient le mot de passe vous permettant d'effacer l'effet de la mnémo-activation; il est personnel et incessible. Veuillez me suivre, nous embarquons d'ici quelques minutes.

Attablés au mess du Milkyway, nous sirotons un verre de lykme, bien mérité après toutes ces péripéties. Les deux équipages sont présents et les croiseurs stagnent sur un point de Lagrange. Je me lève, le verre à la main.
- Je propose un toast à ces gens de l'empire galssyte qui nous ont tendu la main alors que nous étions dans la difficulté. Acteurs de l'ombre et qui ne reverront probablement jamais leur patrie... Merci et Santé!
Nous vidons une seconde bouteille pendant que Bob se met à préparer le repas. J'extrais une carte du porte-documents et l'étale sur la table. Dans l'atmosphère chauffée par l'alcool, l'odeur du tabac exotique de nos astros flotte dans la cabine et se répand dans les méandres de l'astronef... Dans ces moments de détente, la discipline se relâche sans pour autant disparaître; je tiens tout particulièrement à faire partager les bonnes choses à mes hommes lorsqu'ils les ont méritées. Entre deux bouchées, nous établissons le plan pour le lendemain. Celui s'avère épineux mais nous partons optimistes.
La soirée est bien avancée tandis que nous nous quittons et réintégrons nos appartements. Je contrôle rapidement pour la énième fois le scanner d'approche et branche le hurleur. De ma chambre, je rentre les paramètres de pénétration dans l'atmosphère terrestre, calcule que notre point d'ancrage actuel est suivi par le nanordinateur puis je coupe l'écran. Je m'étire et étouffe un bâillement. Je m'octroie une petite douche relaxante, et me glisse dans ma couche non sans avoir omis de m'attacher.

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