CHAPITRE 6

 

Les premiers récits de sauvetages relatent l'horreur
du côté des colonnes de secours qui risquaient leur vie
et l'angoisse vécue par ceux qui espéraient le salut

 

Général Arthémus De Virgens
Haut Commandeur de l'Ordre du Mérite
Commandant en Chef du 1er E.S.G.

"Les miraculés de la tempête"

 

 

MERIGNAC

(interlude)

 

Végétant sur la frange de la galaxie, le spationef Vulcain, de classe Globe, glisse lentement dans l'éther à l'écoute de radio-sources extra-galactiques.
Telle une araignée tissant sa toile, il navigue toutes antennes déployées. En ces temps de troubles, la mission commerciale des globes est détournée au profit de l'armée. Plusieurs vaisseaux de ce type sont immobilisés sur la frontière afin d'ausculter les Nuages du Dragon situés à quelques 170'000 années-lumière. Les ordres reçus stipulent: interception de tout trafic radio hyperspatial entre les Nuages du Dragon et la base avancée d'Orkasis, relevé des mouvements de la flotte orkasienne, écoute des balises, retransmissions des données par cryptofréquences hyperspatiales pour le quartier général de Lotan. Le Vulcain a cependant été nanti d'une mission spécifique vitale: détection des balises de détresse fédérées. Chaque navire commercial ou de guerre possède en son sein une balise, sorte de boîte noire, dont l'éjection est ordonnée par le commandant de bord ou à défaut par le programme de sécurité du nanordinateur de bord en cas de naufrage ou péril grave.

Sur l'un des multi-écrans de la salle de contrôle du Vulcain, une série de données vient de s'inscrire, informant de cette manière l'opérateur qu'un astronef a éjecté sa balise de détresse. Instantanément, différents scanner sont reprogrammés pour confirmer la localisation quadrimensionnelle du navire en péril, émise par la boîte noire.
- Lieutenant! Nous avons identifié l'unité en perdition! l'opérateur du terminal GEB4 interpelle l'officier de service par le biais du vidéocom interne. Il s'agit du Terrea, classe intercepteur, matricule CHARLY.15101.ALPHA, sous le commandement du premier-lieutenant Yves De Blois. Pas de transmission avec ce vaisseau.
- Bien reçu, je vous remercie. Reprenez le quart et notez tout nouveau renseignement y relatif. Si l'on me cherche, je suis chez le Commandant. D'un geste nerveux, le lieutenant Serge Neuhaus rompt la communication avec le centre de contrôle. Prenant le notepad dans les mains, il quitte précipitamment son bureau. Il emprunte tour-à-tour les différentes passerelles permettant d'accéder aux blocs de SECURITE & NAVIGATION. Là, toutes les mesures nécessaires à la bonne marche du Vulcain sont transmises aux secteurs concernés.
- Commandant, lieutenant Neuhaus au rapport!
- Je vous écoute, fait l'intéressé en quittant des yeux le scanner placé sur son pupitre.
- Nous recevons à l'instant un avis de détresse émanant de l'astronef Terrea, classe intercepteur, sa fonction...
- ...le situait dans le périmètre de sécurité de la station-base Antinéat IV... je le sais! Le capitaine Youri Romanenko s'assoit avec tristesse dans son fauteuil. La nouvelle vient de tomber... Antinéat IV n'est plus! Les Orkasiens, ou plutôt les gens de la Ligue, ont pénétré ses défenses internes; malgré une lutte acharnée, le colonel Pietre De Rongemault, qui était un ami personnel, à sabordé la station, la rayant à jamais des registres de l'armée. Il s'agit du coup le plus terrible porté par l'ennemi à la Fédération. J'ai déjà lancé l'ordre d'annulation et de repli aux cinq escadrilles envoyées en renfort; le jeu n'en vaut plus la chandelle...
- Je compatis mon Commandant mais que faisons-nous avec le Terrea?
- Détournez le destroyer Mérignac! Qu'il aille porter secours aux éventuels survivants... priorité absolue et en hypervitesse. J'exige un compte-rendu de la situation le plus rapidement possible. Faites-en également un condensé à l'intention du général Edward de la Fédération, ainsi qu'au général Padwear de la F.I.G. à Lotan. Le tout par cryptofréquences naturellement! Vous pouvez disposer!
- A vos ordres!
Dans un claquement de talons, il prend congé de son supérieur tout en ressassant dans sa tête le présent entretien. L'information sur l'anéantissement de la station-base n'a pas encore filtré dans les couloirs du vaisseau. Bon nombre d'opérateurs doivent être dans le secret... surtout ceux affectés au décryptage. Le Commandant doit sûrement préparer une allocution extraordinaire pour la fin du quart.
Descendant au niveau inférieur, il rejoint le service des télécommunications afin de contacter le Quartier-Général de la Fédération Galactique et de la Force d'Intervention Galactique.
- Mérignac de Vulcain, priorité ALPHA-DUE, vous rendre dans le secteur Zoulou,7,3 pour opération de secours au Terrea ainsi qu'aux éventuels rescapés de la station-base Antinéat, laquelle a été annihilée ce jour à 0434h en Temps Galactique Moyen (TGM).
Le message transmis en hyperfréquence est de suite confirmé. Le major René Duvallon, commandant du destroyer Mérignac, fait donner à pleine puissance ses photopropulseurs, sonne le branle-bas de combat et translate dans le site incriminé.

A sa résurgence dans l'espace normal c'est l'Apocalypse... ou plutôt un pâle reflet de celle-ci. Les remous de l'explosion de la station-base se font encore sentir, les déflecteurs flamboyent sous les impacts des déchets les plus divers; carcasses de cosmonefs par centaines, corps d'astropilotes déchiquetés et le plus émouvant: la gigantesque sphère d'Antinéat éventrée, transformée en énorme cimetière spatial, comble de l'horreur dans cette guerre cruelle. Aucun espoir de retrouver le moindre survivant.
A quelques secondes-lumière de l'épicentre du cataclysme, les feux de position du Terrea flashent dans la noirceur du cosmos. Sa balise de détresse est directement reliée au nanordinateur du Mérignac. Le destroyer vire de bord en direction de son objectif.
L'intercepteur apparaît sur les écrans des scanners.
- Quelles sont les nouvelles? s'enquiert le major Duvallon.
- Pas de contact. Nous pouvons constater qu'un missile a heurté de plein fouet le groupe de propulsion qui, d'ailleurs, s'est détaché du bloc central... le poste de navigation semble avoir implosé. Il y a peu de chance que quelqu'un soit vivant à bord.
- Dites au capitaine Blondel de préparer une équipe de sauvetage... six hommes, sous les ordres du premier-lieutenant Toulgoet, suffiront pour mener à bien cette mission. Quant à vous lieutenant, occupez-vous de l'appontage. Je veux également cinq chasseur Python en couverture et cinq autres en alerte sur le pont. Exécution!
D'un pas énergique, le commandant quitte la salle, regagnant son bureau. Le lieutenant Philippe Vaname procède à la mise au point de l'appontage avec l'épave; délicate manoeuvre car le moindre écart peut entraîner de graves avaries au navire ainsi qu'à l'équipe de secours. Malgré les remous, l'opération est menée à bien dès la première tentative. Dans le moment même, les Pythons sont éjectés. Sur l'un des flancs du destroyer une ouverture se fait, laissant filtrer la section du premier-lieutenant Toulgoet. Ce dernier, suivi de ses hommes, se glisse dans l'intercepteur par une déchirure de la coque.

La principale difficulté réside dans la traversée du vaisseau de par l'enchevêtrement de poutrelles métalliques et autres. De plus, le taux de radiations est particulièrement élevé vers la poupe car le blindage a été détruit lors de l'explosion des moteurs photoniques, limitant le temps des recherches.
- Mérignac de Tango 04, nous avons découvert les restes du commandant de bord: premier-lieutenant Yves De Blois, il n'a pas supporté l'implosion du poste de navigation... nous poussons plus en avant nos investigations. Terminé.
- Bien reçu Tango 04, je transmets au Commandant.
Traversant plusieurs passerelles, les soldats dans la salle des scanners... la plupart des écrans n'ont pas résisté au choc. Seuls les circuits vidéocoms internes sont en fonction.
- Branchons-nous sur la console centrale des vidéocoms! Ils doivent certainement être coincés dans une poche d'air entre deux blocs de sécurité! émet l'officier. Tentons de localiser les zones probables en éliminant celles se trouvant en atmosphère zéro, sur-contaminées par les radiations ou ne répondant pas.
- Premier-lieutenant! lance avec véhémence l'un des six hommes. J'ai repéré un signal correspondant à une activité biologique dans le troisième sas rapide à tribord... unité URG06!
- Parfait! Vous quatre, venez avec moi, les autres poursuivent les recherches.
Parcourant au pas de course le chemin les séparant des rescapés, le groupe d'hommes stoppe net devant le spectacle hallucinant du charnier qui s'offre à leurs yeux, retenant avec grande peine leur émotion... Une dizaine de cadavres gisent pêle-mêle dans ce qui fut la soute à munitions laser. Certains se retournent pour vomir, d'autres ont le regard qui se voile... malgré l'entraînement de combat et la lutte contre la peur, l'âme de l'Homme refait surface.
- Mérignac de Tango 04 à vous! Bernard Toulgoet a la voix qui tremble lorsqu'il appelle le destroyer. Macabre trouvaille... dix de nos astros en charpie dans le bloc LASMUN principal... récupération impossible.
- ... Nous avons suivi votre "découverte" sur la retransmission de votre émetteur personnel. Pour votre information le Vulcain communique: "Nouvelle mission de secours - priorité ALPHA-DUE - dans une zone protégée de la banlieue; cible croiseur Milkyway id A.52818.A.37". Veuillez donc abréger votre présente mission.
- Compris. La source biologique identifiée, nous réintégrons le bord. Fin de communication. En avant les gars! Des copains nous attendent... nous devons les sortir du pétrin.
Enjambant les cadavres, le groupe de soldats foncent avec ardeur vers leur but.
- C'est ici! s'exclame l'un des astros en s'arrêtant au pied d'une imposante porte blindée.
- Mettez-vous à couvert! Je vais placer une charge sur la trappe d'urgence car je ne parviens pas à la décoincer.
Dans un fracas étourdissant, le sas URG06 se volatilise, libérant le passage aux hommes de troupe.
- Les voici, désigne l'officier. Mérignac de Tango 04... Victoire! Trois rescapés à notre actif: lieutenant Robert Savarin, astros Maurice Leblanc et Georges Devergy. Les prenons en charge et rentrons au bercail.

- Bien joué Messieurs, néanmoins nous sommes dans l'incapacité de remorquer l'épave du Terrea... Notre nouvelle mission est vitale pour la victoire...- le major Duvallon quitte des yeux la carte quadrimensionnelle pour faire face à son auditoire -... et ultra-secrète. En effet, nous fonçons actuellement en hypervitesse dans les Marches de notre galaxie, dans un territoire protégé, donc interdit à tout trafic hyperspatial. La balise de détresse du croiseur Milkyway, de la F.I.G., s'est mise en fonction dans ce secteur alors qu'il a été clairement établi que ce vaisseau était apponté dans la station Antinéat IV. Selon la déclaration du lieutenant Savarin ci-présent, un autre croiseur, l'Eridan, naviguait de paire avec le Milkyway... reste à savoir ce qu'il en est advenu. Dès maintenant j'ordonne le silence radio... à la moindre incartade c'est la cour martiale! J'espère que je me suis bien fait comprendre. Des questions?
- Juste une Major, lieutenant Vaname... est-il autorisé de connaître la teneur de la dernière note de service UB113 qui a été classifiée... relative à une sonde automatique inconnue interceptée dans cette portion de la banlieue? Y a-t-il corrélation?
- Affirmatif quant à la première question mais pour le lien qui joint les deux affaires, je ne sais que dire. L'ordre de marche des cosmonefs fédérés a été classé "rigoureusement secret". La note confidentielle UB113 incriminée stipule qu'il a été découvert par une patrouille de galcops d'un véhicule spatial automatique, inhabité, naviguant en bordure de zone interdite. Ledit engin aux trois quarts endommagé; sa provenance probable serait un système solaire comprenant neuf planètes et distant de 36,6 années-lumière de notre garnison sur Qutiri. Voici, Messieurs, qui clôt notre entretien. Les rescapés du Terrea sont naturellement les bienvenus à mon bord. Ils se plieront à la réglementation interne. Ils seront affectés à des tâches spécifiques... lieutenant Savarin, vous serez aux ordres du capitaine Blondel. Prochain briefing à notre émergence dans le continuum normal.
Tous les officiers se dispersent rapidement, chacun vaquant à ses occupations. Restent en tête-à-tête le commandant du Mérignac et le gradé de l'intercepteur.
- Avez-vous eu connaissance lieutenant de la mission dont étaient investis le Milkyway et l'Eridan?
- Négatif mon Commandant... Nous n'en n'avons pas eu le temps. Je sais simplement qu'ils avaient priorité ALPHA-UNO et que leurs vaisseaux étaient équipés en technologie de pointe... entre autre le nouveau système de vision dans le translateur PERKINS.
- Que s'est-il passé lors de l'alerte... Les deux cosmonefs ont-ils quitté la base?
- Je passais en revue les points de contrôle du Terrea lorsque le sas d'accès de la baie centrale a volé en éclats; au même moment deux engins de guerre fédérés se sont éjectés. Le premier-lieutenant Yves De Blois est arrivé aussitôt, l'air paniqué... "tout va sauter!" répétait-il sans cesse. Nous nous sommes éjectés et avons quasiment translaté dans le périmètre de sécurité... enfin tenté devrai-je dire car c'est lors de la phase d'urgence que nous avons été touchés de plein fouet... après je ne me souviens plus très bien, tout est confus dans ma mémoire...
- Allez prendre du repos mon vieux! Tout est consigné dans le rapport que j'ai transmis pour le général Padwear.
Le major médite un instant sur cet apport d'informations puis s'en retourne au poste de navigation.

Le Mérignac glisse sûrement en direction de la balise, avalant les milliers d'années-lumière l'en séparant. Jusqu'alors, aucun navire ennemi n'a été signalé sur la route prévue... Les gens de la Ligue semblant tout ignorer de cette portion de la galaxie. Il sied de relever que les seules personnes ayant aperçu un habitant du Grand Nuage du Dragon n'ont pas vécu suffisamment longtemps pour témoigner ou sont devenus fous. Nul engin spatial dragonnien n'a été capturé... seuls les Orkasiens ont contact avec eux par le truchement de robots; ils ont trahis la Fédération Galactique par goût du lucre et soif de puissance.
Le Commandant du destroyer, machine de guerre invincible, se retourne sur sa couchette, cherchant vainement le sommeil... il sait que chaque minute compte. Malgré les sédatifs, la tension nerveuse est omniprésente. Il ressasse les tenants et aboutissants de sa mission puis peu à peu, les médicaments aidants, il sombre dans un sommeil agité, laissant entre les mains de ses hommes le destin de son vaisseau.
Advienne que pourra!

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