CHAPITRE 14

 

L'homme n'est point fait pour méditer,
mais pour agir.

 

Jean-Jacques Rousseau

 

 

HB-IGD

 

"1100 SR 110 JFK IGD 14". Telles sont les indications que nous pouvons lire sur le panneau d'affichage permanent du hall DEPART de l'aéroport Genève-Cointrin. Nous arrivons avec cinq minutes de retard... Glenn Smithee s'est envolé pour les Etats-Unis avec la carte NAVCOM du nanordinateur de l'Eridan!
- Par l'espace! haletai-je en épongeant la sueur de mon front du revers de ma manche. Il a réussi à s'enfuir...
- Quelle poisse! me lance Madeleine, également à bout de souffle. Patiente un instant je vais voir au satellite si l'avion a décollé!
Brave petite! Je la vois s'élancer vers le contrôle passeport, brandir sa carte de police, franchir au pas de course la salle d'attente et dévaler les escaliers; traverser le contrôle bagages pour enfin s'élancer dans le couloir menant à la porte 14.
- Elle est vraiment bien cette fille! s'exclame Bob en réajustant sa cravate. Elle ferait l'affaire au service action... pas vrai?
- Ouais... mais elle a le grand défaut d'être extra-fédérée... Des nouvelles?
- Aucune. Charles est en attente dans la voiture. Il est en liaison avec Thorn resté à la villa.
- Bon! Aussitôt que Madeleine revient, on dégage en direction du vaisseau. Je vais requérir l'assistance du Mérignac... j'ai une vague idée en tête. On ne peut pas impunément laisser filer ce gars avec notre matériel... Ah! La voilà qui arrive... Alors?
- Pff... laisse-moi reprendre ma respiration! Notre oiseau s'est envolé. Je n'ai pu apercevoir que l'empennage de direction du Boeing 747 qui s'alignait sur la piste. C'est foutu!
- Pas encore! Maintenant, tous au véhicule... La course contre la montre est engagée. Nous avons un peu moins de huit heures devant nous pour repêcher notre équipement.
Dans le hall, c'est la cohue. Nous nous frayons un chemin jusqu'au parking DEPART. La 205 turbo de Susan nous attend. Le moteur ronronne, Charles est assis derrière le volant.
- Alors... s'enquit-il?
- Rien! L'avion s'est éclipsé à l'instant où nous arrivions. Il nous faut premièrement passer chez Thorn, translater à bord du Milkyway et contacter le Mérignac.
- Tu ne vas quand même pas faire intervenir le destroyer! rugit notre chauffeur en faisant démarrer l'automobile.
- Pas directement. Je vais réquisitionner une navette atmosphérique... Et nous arraisonnerons le Boeing 747 en plein vol!
- Tu es dingue ou quoi? Je présume que tu as tout prévu...
- Accélère Charles s'il-te-plaît! Il nous faut jouer quitte ou double. Nous devons réunir le plan de vol ainsi qu'un schéma de la configuration des lieux.
Mes cellules nerveuses sont en ébullition. J'élabore le tracé de l'intervention telle qu'elle doit se dérouler sans pour autant négliger la moindre faille. Je n'ai pas le temps d'attendre... J'extrais le vidéocom du vide-poche et contacte le lieutenant Verrat.
- Milkyway de major Lorrain...
- Reçu cinq Major. Que se passe-t-il?
- Prévenez le commandant Duvallon du destroyer Mérignac de sonner le branle-bas de combat. Qu'il place en alerte cinq chasseurs Pythons ainsi qu'une navette atmosphérique...
- Compris!
- Ah! Encore une chose; je veux que la navette soit éjectée au plus vite... Prévenez-le encore que je prendrais personnellement contact avec lui aussitôt arrivé au croiseur! Terminé.
- A vos ordres Major!
Dans un crissement de pneus, nous stoppons net devant la villa de notre ami terrien. Je sors de la voiture et traverse au pas de course l'allée intérieur. Thorn est sur le pas de porte, interloqué.
- Nom de Dieu Michel! Quel est tout ce remue-ménage?
- De gros ennuis à la clef si nous n'intervenons pas rapidement. Smithee nous a semé... Il a l'avantage sur nous; mais pas pour longtemps! Bob! Charles! Dépêchez-vous par l'espace... Madeleine tu restes là! Désolé mon coeur... boulot-boulot!
- Tenue de combat? m'interpelle Bob en ouvrant les portes du garage.
- Affirmatif! Spatiandre léger et phaser... PAS de paralux, c'est trop risqué.
Madeleine et Thorn font une drôle de tête. Je les sens inquiets et nerveux. Je les rassure en leurs expliquant leurs missions.
- Quant à vous deux, je vais avoir besoin de votre collaboration. Vous allez traquer le Boeing et nous transmettre toutes les données utiles pour notre projet. Vous resterez à l'écoute de la fréquence... Au besoin, vous vous rendrez à bord de l'Eridan afin d'exploiter son système de poursuite. Des questions?
- Aucune Michel... et ne te fais pas de soucis, je prendrais soin de Madeleine.
Une rapide poignée de main, un long et tendre baiser pour ma compagne et je m'engouffre dans le translateur.

Dans mon navire, s'est l'effervescence. Mes deux acolytes sont équipés des pieds à la tête. Charles me tend ma tenue tandis que Bob, fronçant les sourcils, se dirige vers moi.
- J'ai peur de ne pas bien saisir toute la portée de notre futur action. Te rends-tu compte que nous allons arraisonner un transport civil, qui plus est sur une planète n'appartenant pas à la FedGal... c'est un acte de piraterie caractérisé!
- Je le sais pertinemment Bob. Mais ce n'est pas tout; à l'intérieur se trouvent des gardes de sécurités armés. Nous n'allons pas jouer sur du velours. A la moindre anicroche nous sommes fichus! Maintenant, il me faut joindre Duvallon. Je te laisse...
Je me dirige droit vers le communicateur et pianote l'indicatif du Mérignac. C'est le Commandant de ce dernier qui me répond en personne.
- Mes respects major Lorrain. Il me semble que vous faites preuve de velléité dans le cadre de cette affaire. Je me vois obliger d'en référer à qui de droit et...
- Négatif Major! Excusez-moi de vous interrompre de manière aussi peu cavalière, mais le temps presse. Je vous ai donner l'ordre d'éjecter une navette atmosphérique et de mettre en alerte cinq chasseurs! Au vu d'événements indépendants de ma volonté et en me référant à mon ordre de mission classifié priorité "ALPHA-UNO", je ne vois pas de faille dans mon jugement. De plus, vous n'avez pas à tenir informer votre hiérarchie de mes faits et gestes!
- Certes Commandant, mais laissez-moi tout de même soulever le problème que vous transgressez de manière flagrante les règles élémentaires édictées par la Fédération Galactique, et relatives à la non-ingérence directe dans une zone protégée de la Fédération...
- ALPHA-UNO! Je le réitéré Major Duvallon, j'ai carte blanche... Je suis à même de juger de l'équité d'une action et des moyens nécessaire à la péroraison de cette dernière! Nous sommes en guerre contre une entité d'une cruelle intelligence, je le rappelle à votre bon souvenir. Je connais l'éternel tiraillement qui sévi entre l'armée régulière et la Force d'Intervention Galactique... Nous ne sommes plus à l'école, soyons plus intelligent dans l'adversité.
- Hé bien soit, Commandant je vous l'accorde! Je tiens à souligner mon entière collaboration dans votre entreprise. Il fallait que je sois sûr de votre intégrité... désolé! J'ai reçu à l'instant la communication suivante: le destroyer Louhanx, le globe Uhmilla et l'intercepteur Gasser ont appareillé ce matin de Lotan pour renforcer notre garnison sur Qutiri. Ce mouvement de troupe corrobore les ragots étouffés sur la pénétration de plus en plus profonde des gens de la Ligue de la Subversion.
- Effectivement, nous pouvons craindre à chaque instant une offensive multi-fronts. Bien! Maintenant que vous avez vérifié mon attachement à la Fédération Galactique... je souhaite connaître les suites de ma réquisition. Avez-vous oui ou non fait le nécessaire quant aux chasseurs et à la navette?
- Pas de problème cher confrère. Aussitôt les ordres reçus, j'ai ordonné la mise en branle-bas de combat du Mérignac. Cependant, je me refuse à toute pénétration en basse atmosphère... le risque encouru est trop grand. En temps que maître de ce vaisseau, si vous vous me permettez l'expression, je suis responsable de la vie des quelques cinq mille âmes vivants sur ce navire.
- Assurément Commandant, je ne voudrais point mettre en danger vos archers. Néanmoins, pour la bonne forme, je vous demanderais de descendre à un pallier minimum de deux cent cinquante kilomètres au-dessus de la surface terrestre... ce n'est pas trop demandé?
- Mmmh... Vous me sollicitez beaucoup! J'ai des exigences aérodynamiques requérant un quota minima... qui plus est, la couverture radar terrienne n'est pas une passoire comme l'on a tendance à penser, un destroyer n'a pas une masse négligeable... Je sais bien qu'ils n'ont pas les moyens de nous atteindre mais je serais sur le qui-vive!
- Si je requiers de votre part un pallier aussi bas, c'est pour le retour... je crains que notre intervention aérienne ne passe inaperçu.
- Là n'est pas mon problème commandant Lorrain! Pour la forme, je vous ai mandaté des hommes de confiance. Quand je dis de confiance... la gangrène corruptrice n'est pas omniprésente dans les rangs de l'armée! Je conçois le fait que vous ne fassiez crédit qu'à des hommes d'élite de la FIG... laissez-moi vous dire que nous ne sommes pas tous des pourris!
- Loin de moi cette idée... Les renégats sévissent dans vos rangs sans pour autant entacher ma confiance envers vous Major.
- Ok! Je suis un pointilleux mais j'aime que les choses soient claires entre nous. La navette atmosphérique va apponter dans votre site d'ici une demi-heure. Le lieutenant Savarin, rescapé de l'intercepteur Terrea sera à bord. Mais de grâce Major, faites le moins de vagues possibles. Une erreur de votre part entraînerait une catastrophe à l'échelle planétaire.
Cet entretien commence à me mettre sous tension. Le major René Duvallon me semble très soucieux de la bonne marche de son vaisseau... c'est tout à son honneur. Néanmoins, je n'aime pas les gens qui ergotent sur les ordres reçus!
- Très bien major Duvallon; je vous remercie pour votre collaboration. Tenez prêt une autre patrouille de chasseurs en alerte sur le pont au cas ou. Nous allons intervenir dans le secteur atlantique-nord... dans quatre-vingt-dix minutes exactement. Ce n'est pas une mince affaire et je requiers de votre part une attention toute particulière à ce sujet.
- Compris Major! J'obéirais aux ordres même si je ne les approuvre pas entièrement! Veuillez me rappeler lorsque vous entamerez votre intervention. Terminé!
Le ton tranchant de l'officier commandant le destroyer ne laisse pas place à la plaisanterie. Nerveusement, cette manche a été rude; mais j'ai obtenu ce que je voulais. Maintenant, reste à jouer une partie délicate. Mes acolytes sont restés stoïques, pas une remarque n'a fusé de leur part. Cette affaire est mal engagée, et le moins qu'on n'en puisse dire est que si l'intervention tourne mal... je ne donne pas chère de notre peau. Je dévisage mes compagnons, l'air grave.
- Tu as bien exposé le problème Michel, souligne Charles. Pendant ton compte rendu, nous avons reçu diverses informations concernant l'avion. J'ai repéré les lieux sur le plan et seul le local des cuisines se prête à une opération de translation. Je suis optimiste lorsque je relève la surface de résurgence...
- Je te fais entièrement confiance Charles! Nous tracerons le tridi de cet engin sur le scanner. Quant à ce lieutenant Savarin, je ne le connais pas. Je me souviens que le Terrea était apponté dans Antinéat IV... J'ignorais qu'il y avait eu des rescapés.
Au pas de course, le lieutenant Verrat surgit sur la passerelle, une liasse de feuilles à la main.
- Voilà une photo de Smithee... Thorn Roginski me la retransmise par le biais du translateur; elle a été prise lors du cocktail d'inauguration du projet L3 et largement diffusée dans la presse locale. Annexé à celle-ci, le plan de vol du SR110... A 1207h, soit 1h. 57min. après son décollage de Genève-Cointrin, il sera à la verticale de Cork où il prendra l'altitude de traversée de l'Atlantique.
- Excellent! Cette photo lui ressemble tout-à-fait. Nous n'interviendrons pas avant que l'avion ait atteint son altitude de croisière. Cela nous laisse un laps de temps un peu plus important et une marge d'action élargie...
- Milkyway de navette Mérignac 00492.XRAY répondez!
- 00492.XRAY ici Milkyway A.52818.A.37, je vous reçois cinq. J'enclenche le traceur, veuillez vous référer aux indications d'approche.
- Compris! Je suis à votre verticale d'ici vingt-deux minutes.
- OK! Branchez vos écrans au maximum de leur capacité et restez à une altitude élevée. Vous nous rappellerez aussitôt à la verticale du traceur. 00492 Terminé!

Bon! Il me reste vingt minutes pour m'équiper. J'ôte mes vêtements terriens et enfile ma combinaison de combat. Je vérifie la charge du phaser... en ordre! Une fois le spatiandre bouclé, j'enclenche le scanner... contrôle de fonctionnement? Extra! Tout est en ordre. Je quitte le poste de pilotage pour rejoindre Bob dans la salle de transmissions. Celui-ci est en train de programmer une console avec les éléments du plan de vol du SR110.
- Ca joue?
- A la perfection Michel! J'ai capté les échanges radios du Boeing... Aucun retard sur l'horaire n'est prévu.
- Parfait! Tu t'arranges avec Thorn afin qu'il reçoive toutes les informations à la villa... De toute façon, le lieutenant Verrat restera à bord pour parer à toute éventualité. Je file au mess vers Charles, ciao!
D'un pas leste, je traverse les couloirs du vaisseau. Charles est penché au-dessus d'une carte de l'Europe du nord.
- Des problèmes?
- Non non! Jette un coup d'oeil s'il-te-plaît! Voilà la position actuelle de l'avion... et ici Cork. A ce moment, notre cible va prendre de l'altitude et entamer sa traversée de l'océan atlantique. Dès cet instant, il devient une cible potentielle.
- Commandant! La navette est à la verticale du traceur!
L'intercom résonne dans le mess et nous fait sursauter.
- Compris Lieutenant! Dites-lui de patienter, nous montons vers vous!
Je me retourne vers mon compagnon. Des rides de fatigue creusent son visage buriné
- C'est à nous de jouer! Serré... Très serré!
- Ouais... bref, de toute façon nous ne pouvons pas faire machine arrière.
Nous remontons sur le pont et retrouvons Bob dont l'état d'excitation est avancé.
- Lieutenant, ordonnez à la navette de descendre le long du traceur et de se poser. Allez les gars, on sort!

Soufflé par une brise légère, quelques nuages traversent prestement le ciel limpide de ce début d'après-midi. Le sifflement léger, au-dessus de nos têtes, d'un photopropulseur attire notre attention... La navette arrive! Conduite de main de maître, cette dernière exécute un demi-tour et vient atterrir à nos pieds, la baie du sas latéral ouverte. Nous nous engouffrons par cette dernière dans le vaisseau fédéré, qui aussitôt prend de l'altitude.
Dans le poste de pilotage, un homme au visage bleuté et à la carrure athlétique est penché sur les écrans de la console de navigation. A notre arrivée il se redresse et se met au garde-à-vous.
- Lieutenant Savarin de l'intercepteur Terrea... je devrais plutôt dire de feu le navire Terrea.
- Repos Lieutenant! Nous igniorions que l'annihilation de la station-base ait laissé des survivants... Voici les capitaines Fallow et Tisons de l'Eridan quant à moi, major Lorrain du croiseur Milkyway.
- Enchanté Messieurs, répond l'officier en échangeant une poignée de main avec mes coéquipiers. Je constate que par chance vous avez pu échapper des griffes de la Ligue sur Antinéat.
- Effectivement, il s'en est fallu de peu. Où est la couverture?
- Les cinq chasseurs que vous avez commandé sont en attente dans l'espace proche. Veuillez prendre place, nous décollons dans un court instant
Nous nous engonçons dans les fauteuils anti-g, cliquons nos harnais de sécurité et engageons l'ordinateur personnel de surveillance. J'ajuste le fréquence-mètre sur la longueur d'onde prévue dans le secteur de Cork dans le but d'intercepter le dialogue avec HB-IGD.
- Sélection de champ inversée, jette le pilote de la navette. Nous décollons au top... Top!
Je sens mon corps s'alourdir sous l'effet de la poussée. Malgré les boucliers énergétiques, la puissance du photopropulseur se fait ressentir. Avec peine, je tends le bras et de ma main droite, j'augmente le volume du vidéocom... pile sur notre objectif; les voix du pilote et du contrôleur résonnent dans la cabine.
- "Swissair 110, Shannon control, how do you read?"
- "SR110, Shannon control. I read you four, go ahead"
- "Shannon control, SR110, require permission to climb level 350"
- "SR110, Shannon control, cleared to climb flight 350"
Je coupe le son; le contact est terminé. Je jette un regard circulaire dans l'astronef et constate que mes compagnons sont tous affairés devant leur pupitre. Dans la haute atmosphère terrestre, nous fendons l'air à vive allure en direction de l'Irlande.

Parfait! J'ai le plot du 747 qui vient de s'afficher sur mon écran. Les chasseurs viennent de nous rejoindre et nous volons en formation serrée afin d'éviter tout repérage. Notre altitude actuelle est de treize mille mètres, tandis que notre objectif est en passe d'atteindre son niveau de croisière. Les pilotes des Pythons sont nerveux... ils savent qu'ils ont pour mission de nous protéger de toute attaque. Ces gars ont été formés pour des combats en milieu stellaire et non en atmosphère positive... sur ce point là, je me fais du souci car je ne sais pas comment ils vont réagir. L'approche est prévue dans dix minutes. Je vérifie tous les paramètres inhérents à notre translation. Sur l'écran mural de la navette, j'enclenche la carte tridi. Celle-ci trace les contours du Boeing, lequel semble évoluer dans la cabine. J'entame la programmation de l'ordinateur pour la routine de vol et dans le coin supérieur gauche apparaissent le pallier actuel et vitesse relative de l'avion ainsi que notre position en coordonnées terriennes; en surimpression bidimensionnelle vient s'inscrire le tracé de notre route depuis Genève et les voies aériennes locales.
- Bob... As-tu des nouvelles de Thorn?
- Affirmatif!. Tout concorde parfaitement. Les stations au sol ne nous ont pas détectés si ce n'est un léger sillage thermique, plus précisément la signature des chasseurs, qui a été relevée par des navires militaires voguant dans les régions arctiques, lors de leur descente dans les cheminées polaires...
- C'est tout?
- Oui! Euh... Non! Salutations de Madeleine... Hum!
- Bon! Ca suffit comme ça!
- Piqué au vif on dirait! lance Charles depuis la console principale.
- Ouais... pour info, contact dans cinq minutes. Vitesse constante de 960 kilomètres/heure; altitude de 10'670 mètres. Maintenant je requiers votre attention s'il-vous-plaît!
Je me tourne face à l'hologramme munis de mon notepad.
- La situation est la suivante: nous allons aborder l'avion par l'arrière, traverser sa ligne de vol et remonter par son nadir. La navette se positionnera sous le ventre de l'appareil, entre ses ailes... jusque-là est-ce que tout est clair? Spécialement pour vous Lieutenant... il n'y a aucune marge d'erreur possible!
- Pff... Bien reçu Major!
- Je ferais la translation avec Charles. Bob, tu resteras en veille... au moindre problème tu décroches et retourne aux vaisseaux. Quant aux Pythons: le Un et Trois en couverture supérieure; le Deux et Quatre sur les six heures du Boeing et à notre niveau. Le Cinq volera à distance en première alerte. Attention! En aucun cas les chasseurs ne doivent devancer notre objectif! Nous prenons un maximum de précautions anti-radars... je ne veux pas de témoins oculaires en sus. Bob, tu t'occuperas de la donnée d'ordre aux pilotes; je veux un rapide briefing par cryptofréquences et tu leur rappelleras les règles relatives aux systèmes extra-fédérées. Des questions? Si tel n'est pas le cas, en avant!
- Juste une chose Michel... Quel sera notre point de chute dans l'avion?
- Dans la bulle du Boeing, à l'arrière de celle-ci.
Je pointe le notepad sur l'endroit incriminé et commande un agrandissement tridi des lieux. Puis j'exécute une rotation de l'image.
- C'est ici, exactement dans les cuisines de la classe économique, que nous émergerons de notre translation. Le cockpit se situe sur l'avant et j'espère que les rideaux seront tirés... le flash n'en sera que moins voyant. Lieutenant Savarin!
- A vos ordres!
- Vous n'activerez pas le joint magnétique entre nos deux navires, respectivement vous désactiverez les boucliers car ceux-ci risquent de perturber les instruments de navigation des Terriens.
- Compris Major! Dois-je rompre notre liaison avec le Mérignac?
- Affirmatif! Ah! pendant que j'y pense... ordre à tous les chasseurs de couper leurs écrans et d'appliquer un silence radio jusqu'à nouvel avis... cas d'urgence réservés naturellement. Les seuls contacts seront établis entre le groupe d'intervention et la navette. En cas d'engagement par d'éventuels avions terriens, les pilotes attireront leur attention tout en les éloignant de nous...
- Excusez-moi major mais le contact est prévu dans soixante secondes.
- Merci! Bob à toi de jouer. Si toute fois tu interceptes une communication du Boeing relative à notre présence, tu brouilles son émission.
- D'accord! Bien, je vous quitte... je vais distribuer les instructions aux gars dehors... L'espace vous garde!
D'un pas alerte, Bob s'éloigne vers le centre de communication. Savarin s'est harnaché derrière la console de navigation et je me retrouve seul avec Charles.

Grâce à la large baie vitrée de la navette et à une météo favorable, nous apercevons notre cible en contre-bas. Sur la grille du scanner, les cinq plots des chasseurs clignotent. Leur identification respective me permet de visualiser leurs emplacements. Tout est parfait. De très légères turbulences secouent notre navire alors que j'entame la procédure d'interception. Je me cale dans mon siège et prend possession des commandes, conjointement avec le pilote. Je coupe le klaxon de proximité et seul le voyant d'alerte reste allumé. De la main gauche je pianote sur le clavier du scanner, tandis que de la droite je me branche sur le circuit vidéocom des Pythons.
- Communication à tous... Ici Autorité Uno!
Marquant une pause, je détourne mon regard et je remarque Charles me lançant un coup d'oeil complice. Je poursuis mes explications.
- Fantôme Cinq, vous patrouillez sur votre position!
- Compris cinq sur cinq Autorité uno.
- Fantômes Un et Trois, prenez votre poste!
- Un et Trois compris! répond la voix du pilote.
- Deux et Quatre, vous vous alignez sur mes flancs!
- Bien reçu Autorité Uno.
- Attention... Soyez attentif! L'opération démarre... Top!
Au même moment, je fais plonger la navette; traverse la ligne de vol du Boeing et..
- Ahhh!
L'exclamation fuse dans l'habitacle. Avec horreur, je vois le Python numéro deux se faire éjecter de sa place par le vortex de l'avion; glisser au-dessus de nos têtes, frôler l'empennage de direction du 747 et venir heurter de plein fouet le Fantôme Quatre.
- Par l'espace! Nous restons bouche bée devant le spectacle.
- Fantômes Deux et Quatre en difficultés... Autorité uno, je requiers votre permission de regagner le Mérignac pour un appontage d'urgence!
- Deux et Quatre ok! Dégagez et bonne route... Donnez quittance lorsque vous serez à bon port, terminé!
J'observe la tentative des pilotes de stabiliser leurs engins . Les dégâts apparents sont conséquents; l'un a perdu ses boucliers et l'autre ses ailerons de proue... Quelle poisse! Je sens les gouttes de sueur me glisser dans le dos malgré la climatisation de mon spatiandre. je pousse un profond soupir en imaginant la catastrophe que nous venons d'éviter. Un épais silence s'est installé dans la cabine. Loin au Nord, j'aperçois le panache de fumée du numéro quatre se diluer dans les profondeurs de la haute atmosphère terrestre... Bon! Ce n'est pas tout... Et comme mon père me répétait souvent ce vieux dicton de Mounzoun: "Fils! Le samak ne se pêche pas tout seul!", notre poisson actuel est ferré et il ne nous reste plus qu'à remonter la ligne avec toutes les précautions d'usage.
Charles est à l'arrière, paré pour la translation.
- Ca y est Major! m'annonce fièrement le lieutenant Savarin. Nous sommes à destination, mais malheureusement la stabilisation est précaire.
- Probabilités météo?
- Stable à quatre-vingts pour cent pendant dix-sept minutes. Ensuite, nous essuyerons une zone de fortes turbulences. Là, il me sera difficile de maintenir l'assiette de la navette.
- Merci pour les nouvelles! Cela nous laisse une marge d'intervention de quatorze minutes... Faites pour le mieux!
D'un pas alerte, je rejoins mes coéquipiers.
- Ah te voilà! s'exclament-ils à l'unisson. De combien de temps disposons-nous?
- Quatorze minutes en données pures, sécurité comprise. dans seize minutes on décroche et dégage. Charles es-tu prêt?
- Ouais... tout est paré!
- Extra! Alors ciao Bob... translation!
J'abaisse l'interrupteur du pupitre de commande et tout disparaît.

Le fracas d'un verre qui se brise nous accueille dans la kitchenette du Boeing.
- ... que... qui...
D'un bloc, nous pivotons sur place et croisons le regard apeuré d'une hôtesse. Elle est blême et semble mal accuser le choc.
- Calmez-vous Mademoiselle! susurrai-je d'une voix douce. N'ayez crainte, nous ne vous voulons aucun mal. Comment vous appellez-vous?
- Je... Nyffler, Valerie Nyffler, bégaye-t-elle. Je suis le maître de cabine sur ce vol. Que s'est-il passé? Qui êtes-vous?
- Chaque chose en son temps mademoiselle Nyffler. Pour vous, autant que pour nous, chaque seconde est des plus précieuse. Nous recherchons un nommé Glenn Smithee. Nous savons qu'il est passager en classe économique mais nous ignorons la place qu'il occupe actuellement.
- Douze minutes Michel, fait Charles d'un air tendu.
- Merci! Ecoutez Valérie, pour garantir la sécurité de l'ensemble de vos passagers, il me faut absolument cette information.
- Soit! Attendez que je vérifie sur ma liste... Voyons Mailer... Manchou... Smithee! 67K. C'est sur ce niveau; au centre et à droite... vers la sortie de secours.
- Très bien! Quant à vous, je vous demanderais de ne pas bouger... Il n'y aura aucun problème, je vous le promet! Ok? Charles, allons-y!
Ce dernier acquiesce tout en écartant la tenture nous séparant des hôtes du Boeing.
Précédant mon ami dans l'étroit couloir de l'avion, je repère notre homme. Assis à la place indiquée, il ne se doute de rien.
- Bonjour monsieur Smithee, sussurrai-je. Le monde est petit ne trouvez-vous point?
Le Terrien sursaute et écarquille les yeux de stupeur.
- Comment êtes-vous parvenu ici? éructe-t-il péniblement.
- Par le même moyen grâce auquel nous allons repartir! rétorquai-je en dévoilant ostensiblement l'étui de mon phaser. Il va de soi que je souhaite récupérer mon bien...
- Ah! Vous n'avez pas de chance, votre matériel se trouve en soute et...
- Ne jouez pas avec moi Smithee! Je sais pertinemment que la télécommande repose dans votre attaché-case. Vous n'êtes pas bête au point de vous séparer d'un tel trésor.
- Plus que dix minutes! me murmure à l'oreille Charles.
- Vous n'avez aucune chance à bord, lâche l'intéressé. Vous ne pouvez pas intervenir en force sans vous trahir.
- Ca suffit comme ça! Vous n'avez pas une possibilité de fuite. Je n'hésiterais pas à vous éliminer s'il le faut!
Là, je crois que mes paroles font l'effet escompté, notre homme est blême de rage devant son impuissance.
- Dans quel but êtes-vous sur Terre?
- Nos astronefs ont subi d'importantes avaries et seule la Terre présente une atmosphère adéquate afin d'effectuer une réparation de fortune. Etes-vous satisfait?
- Incroyable!
Son voisin immédiat paraît interloqué; il nous dévisage gravement.
- Ok! Dernière chance pour vous... J'exige immédiatement la carte NAVCOM!
- ... je n'ai pas le choix n'est-ce pas?
- Non! Le temps presse... J'ai déjà failli perdre deux astropilotes ainsi que la queue du Boeing!
Décrochant sa ceinture de sécurité, Glenn Smithee se lève et ouvre la porte du casier situé au-dessus de lui. Il en retire sa mallette en cuir, la pose sur ses genoux et l'ouvre.
- Si je comprends bien, cette pièce est vitale pour vous hein?
- Oui! Sans elle, nous ne pouvons plus calculer nos sauts en hyperespace. Par chance, notre balise de détresse a été détectée et un destroyer de la Force d'Intervention Galactique a aussitôt été dérouté sur votre système solaire.
- Un destroyer? Un engin de guerre quoi!
- Il s'agit d'un navire s'apparentant à vos porte-avions... en plus imposant. C'est un cosmonef de guerre car malheureusement un conflit terrible, dont le théâtre est notre galaxie, fait rage depuis près de deux cents ans.
- Vous m'expliquez tous vos problèmes en détails et je sais que vous êtes des extra-terrestres... heureux homme que je suis! Tenez! Reprenez vos affaires car de toute manière personne ne voudra me croire à présent.
D'une main fébrile, le Terrien nous tend un sachet sous vide duquel j'extrais mes cartes.
- Parfait! Votre planète n'étant pas affiliée à la FedGal, je ne peux que vous juger mais sans appliquer la sentence... Un de mes hommes est mort l'autre soir au CERN. Pour cela, et en raison des pouvoirs qui me sont conférés, je devrais vous éliminer, et sans remord... soyez-en sûr!
- C'est... c'est une malencontreuse histoire... je ne voulais pas... Enfin, je suis désolé!
- Plus que sept minutes Michel. Finissons-en avec ce pourri, et tout de suite!
- Charles calme-toi s'il-te-plaît!
- Viens Michel, on se tire car ce gars me donne envie de vomir!
Glenn Smithee est transparent et la terreur suinte au travers des pores de sa peau.
- M... merci! bégaye-t-il.
- Ne nous remerciez-pas! Un jour ou l'autre vous aurez à payer votre dette; et jusqu'à cette date fatidique, ce souvenir vous poursuivra comme votre ombre.
Rapidement, mais sans précipitation, nous remontons le couloir central pour rejoindre le galley.
- Merci de nous avoir fait confiance Valérie, commençai-je d'une voix neutre. Désolé pour le désagrément causé...
- Oh! Ce n'est rien vous savez. Qu'allez-vous faire maintenant?
- Repartir. je vous demanderais de nous laisser le champ libre... dites-vous que vous avez rêvé. Mais que ce rêve vous a sauvé la vie et même plus.
Sans un mot, elle tire le rideau derrière elle. Je pianote en vitesse la mise en phase et nous translatons.
Pendant toute la durée de l'opération, pas une seule communication radio n'a été échangée, aucun problème n'est venu se greffer. Tant mieux!
- Bienvenue les gars et bravo! Quatre minutes et quinze secondes avant la marge prévue!
- Bob, je te laisse le soin d'organiser le rapatriement. Tu libères les Pythons et tu nous rentres à la maison. je veux décompresser la moindre.
- Ca marche! Le bonhomme n'a pas créé de problèmes?
- Non! Ce type est une larve. Ah! Félicitations Lieutenant pour votre parfaite maîtrise de la navette!
- Routine Major... de la routine!
- Et modeste avec ça! Charles rejoins-moi dès que tu as fini. J'ai une soif terrible. Un verre de lykme ne nous fera pas de mal.
- Désolé Major mais ce genre de boisson fait défaut à bord. nous n'avons qu'un mélange d'épices à vous proposer.
- Pas de problème! Une fois la programmation en route, joignez-vous à nous.

C'est toujours avec grand plaisirs que je me retrouve attablé au mess avec mon équipe. Nous bavardons à bâtons rompus, histoire de détendre l'atmosphère.
L'astronef file à vive allure en direction de la Suisse où j'ai hâte de retrouver Madeleine.
- Ah! Ah! Ah! Bob... t'aurais dû voir la tête de Smithee, il était écarlate.
- Pff... Et la tête de l'hôtesse... Oh! Je la comprend la pauvre; lorsqu'elle a vu la figure rougeaude de Charles et ta panse rebondie elle ne pouvait qu'avoir peur!
- C'est du muscle ça Môsieur Michel! s'exclame l'intéressé en pointant de son index gauche l'endroit incriminé. Bob verse-moi un autre verre de ce liquide minable... ceci dit sans vouloir vous vexer lieutenant Savarin!
- Quels sont les paramètres de retour? m'enquiai-je auprès de notre pilote.
- Trajectoire directe en très haute atmosphère, boucliers activés en conséquence et traceur en attente. Nous stopperons à la verticale des croiseurs.
- Parfait! Vous avez transmis le message de remerciements au major Duvallon?
- Affirmatif! En revanche il a fait remarquer que les frais de réparation occasionnés aux Pythons seront à la charge du service action de la FIG. et qu'un rapport circonstancié et une demande de sanctions à votre encontre sera établi. En outre, il n'a pas du tout apprécié que vous ne l'ayez pas tenu au courant, comme vous l'aviez convenu, de l'évolution de notre intervention...
- Ouais! Cela ne m'étonne guère de la part de ce type. Autre chose?
- Euh... si l'on veut. Il a de plus râler du fait que vous ne l'avez pas contacté vous-même. Hum! C'est tout.
- Extra Lieutenant! Prenez un doigt de votre mixture et détendez-vous! Laissez de côté le grade... nous sommes tous logés à la même enseigne... Santé!
Plusieurs centaines de kilomètres en contre-bas, le crépuscule gagne du terrain, recouvrant de son épais manteau les terres de l'Europe de l'Est. Les derniers rayons solaires viennent effleurer les formations nuageuses semblables à de la ouate. Sans un bruit, la navette glisse rapidement mais sûrement vers son but.

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