CHAPITRE 12

 

Si on me presse de dire pourquoi je l'aimais,
je sens que cela ne peut s'exprimer qu'en répondant:
Parce que c'était lui,
parce que c'était moi.

 

Michel De Montaigne

 

 

COUP-DE-FOUDRE

 

L'éclair habituel et je foule des pieds le sol plein de paille de la grange.
- Me voilà! lançai-je plein de fougue. Je ne vous ai pas trop fait attendre...
- Pas le moindre du monde. Votre costume a une très belle coupe... très classe!
- Merci. Vous êtes ravissante.
Et c'est peu dire. J'en ai le souffle coupé. Elle est de toute beauté, étroitement moulée dans un petit tailleur bleu foncé. Ses yeux, ceint d'un léger maquillage arc-en-ciel, brillent de mille feux. Le temps s'est arrêté.
- Suivez-moi, nous allons prendre racine en restant planté là!
Je me secoue mentalement. Je coupe l'alimentation du translateur et empoche la télécommande. Dans un grincement, la porte de la grange se referme. Je monte dans la voiture.
La nuit est claire et, dans le firmament, la Lune se fait nouvelle. Nous traversons la campagne à vive allure direction centre-ville. Déjà, les habitations se font plus rapprochées et l'éclairage public a remplacé la voûte céleste. Il est environ vingt heures et la circulation se fait dense. Traversé le pont Sous-Terre, nous remontons en direction de la gare de Cornavin.
- Je vais me glisser dans le parking souterrain de la gare... c'est plus pratique car les places de parc sont rares et, de ce fait, chères. Par ailleurs, nous sommes à quelques pas des Pâquis, le quartier "chaud" de la ville alors... Le restaurant n'est qu'à cinq minutes à pied. De qui tenez-vous cette adresse Major?
- Je la dois à Thorn... Vous aimez le chinois j'espère?
- J'adore et vous?
- Je vous le dirais au dessert! Mais par pitié, laissez tomber mon grade, merci!

- Nous sommes à destination, m'explique mon chauffeur. Brrr... fait un froid de canard. Novembre est un mois venteux. Une petite question relative à votre mission; allez-vous réellement parvenir à détruire toute cette armada? Ne pensez-vous pas que le combat est disproportionné?
- Nous avons l'avantage de la surprise. Qui plus est, nous connaissons parfaitement les plans de situation des différentes forteresses. Seul l'accès au comté d'Orkasis représente une faille dans notre démarche mais j'ai bon espoir. La Liberté n'a pas de prix. Votre système représente une intéressante ressource minière et, situé dans les Marches de la Fédération Galactique, un point stratégique à étudier. Les Dragonniens ne feraient qu'une bouchée de vos armées et vous seriez condamnés à subir ad eternum le joug de l'envahisseur. Votre Terre ne doit son salut qu'au retard de son programme spatial. Par bonheur, vos sondes automatiques sont tombées entre nos mains.
- Et si vous échouiez sur Orkasis?
- D'autres prendraient la relève. Par la même, cela sonnerait le glas pour notre empire... il n'y aurait plus d'effet de surprise mais que des candidats au suicide...
- Avez-vous de la famille?
- Mon frère est mort... il y a longtemps.
- ...
- Mes parents vivent sur Nemrut, une petite planète prospère gravitant autour de l'étoile kappa Khyr. Ils sont à la retraite et heureux, mais ils ne connaissent pas mon rôle exact au sein de la FIG. Dites, c'est vrai qu'il fait glacial!
- C'est dû à la proximité du lac; le vent s'engouffre dans toutes les rues adjacentes.
- Le jet d'eau est magnifique. Vous avez une belle rade.
- C'est à sa vocation de ville internationale que Genève le doit. Nous arrivons bientôt, c'est juste au-dessus du cinéma "Plaza". Je suis transie de froid... vivement un peu de chaleur!

Quelques marches à grimper et nous arrivons devant l'entrée du "Mandarin". Là, le maître d'hôtel nous place le long de la baie vitrée faisant face aux pavés de l'église anglaise. Pas d'apéritif mais un vin rosé français, du "Saint-Tropez" étiquette noire... un vrai régal pour le palais. Thorn n'avait pas tort! Les premiers plats sont servis. Je me risque avec les baguettes... pas mal réussi pour un premier essai. Dans un silence réciproque, nous savourons les spécialités disposées sur notre table. Comme nous entamons notre dernier met, je me lance...
- Je ne sais pas grand chose de vous Madeleine, vous êtes très discrète. Etes-vous... mariée?
- Non! Libre comme l'air. Je ne suis par prête de me faire mettre la bague au doigt. J'aime pouvoir choisir ma voie sans contrainte aucune. Vous aimez ce genre de cuisine?
- C'est exquis... très fin. Nous avons un genre de restauration qui se rapproche de la cuisine asiatique sur Havok/xi Zôon... mais plus épicé. Je vais vous raconter l'histoire de vieille gens vivant aux confins de notre empire sur une planète morbide, Ssfina, à environ vingt-cinq mille années-lumière de la Terre, commençai-je en reposant ma tasse de café. Ce peuple, qui se meurt sur son sol inhospitalier, est visité par toutes les couches sociales de la population galactique... Son secret? Le pouvoir de prévoir l'avenir de chaque être vivant en lisant dans les paumes de la main... enfin pour ceux qui en ont. Seuls quelques rares étrangers ont eu le privilège d'être initié aux rites sacrés de la Connaissance...
- Et vous en avez partagé le secret, me sussure-t-elle en me tendant ses mains que je m'empresse de saisir.
- A vrai dire... pas tout-à-fait. Je cherchais désespérément un moyen subtil par lequel je pourrais serrer vos mains dans les miennes.
- Pourquoi ne l'avoir pas fait plus tôt?
- Je ne sais pas... Vous êtes si belle et de surcroît si différente ... ceci dit sans vouloir vous offenser! Mais je n'aime pas jouer avec les sentiments.
- Sortons prendre l'air Michel!

Je règle l'addition, l'aide à enfiler son manteau et nous quittons le petit refuge douillet que représentait le restaurant. Nous suivons le quai des Bergues et nous nous engageons sur le pont du même nom. La Lune s'est voilée et quelques gouttes de pluie commencent à tomber, portées par le vent du large. La lumière des enseignes lumineuses se reflète dans la noirceur des eaux tumultueuses du Rhône, tel un ballet mystérieux. Entraîné dans une ronde magique, je m'arrête. Nos regards se croisent... elle ferme les yeux et sa bouche vient se coller à la mienne. Un long baiser... une étreinte sans fin.
- Je crois que j'ai craqué pour toi Madeleine...
- Chut! Ne dis rien, me fait-elle en plaçant son index sur ma bouche. Savourons le présent moment. Si le destin nous a réuni ce n'est pas par pur hasard.
Enlacées dans mes bras, je la sens si proche de moi que j'en perds la notion du temps. Mes pensées interfèrent avec l'instant présent, me berçant dans une douce nostalgie. Elle se donne à moi en sachant pertinemment que l'issue de notre aventure est fortement compromise. Nous rebroussons chemin car les conditions météorologiques se font exécrables. Silencieusement nous réintégrons l'habitacle de la petite Ford. Sortis du parking de Cornavin, nous nous glissons dans la circulation qui s'est fait rare.
- Je te raccompagne directement au translateur ou préfères-tu boire un dernier verre chez moi... oh! Tu sais ce n'est pas très grand mais c'est sympa et pratique...
- Va pour le dernier verre!
Des trombes d'eau s'abattent dans les rues et sur le pare-brise de la voiture. Le vent se fait violent. Des éclairs zèbrent le ciel menaçant. Arrivés à destination, les places de parc se font rares et nous tournons un quart d'heure dans le quartier avant d'en trouver une. Le parapluie n'est présent que pour la forme; le temps d'atteindre le porche, nous sommes trempés jusqu'aux os.
- Attends ce n'est pas tout Michel! Nous avons encore cinq étages à pied... Courage!
- Pas de problème... Ce ne sont pas des escaliers qui vont me faire peur!
Je les ai comptées: cent! Cent marches pour atteindre le trois pièces et demi de Madeleine. De quoi décourager plus d'un soupirant. Un rapide couloir débouche sur le vestibule. De part et d'autre sont placés: à droite le salon avec une petite alvéole; sur la gauche la salle de bains/toilettes, la cuisine, la chambre à coucher et une chambrette servant pour le bricolage.
- Fait comme chez toi Michel! Ne te gêne pas. Tu fumes?
- Non. Il est interdit aux agents du service action de fumer. En revanche boire un coup... je ne suis pas contre.
- Alors tant mieux. Met-toi à l'aise au salon...
Je prends place sur un canapé dont la taie est décorée style jungle. Divers tableaux ornent les murs de la pièce sobrement meublée. Du fond de sa cuisine j'entends Madeleine qui m'interpelle.
- Que préfères-tu, whisky ou vodka?
- Whisky s'il-te-plaît. Thorn m'a déjà fait connaître la vodka... il a une bonne descente!
- Il a du sang polonais... ces gens-là en boive comme du petit lait. Voici ton verre, sans glaçon et à température ambiante.
- Merci! A notre santé et... au succès de la mission.
- A nous, tout simplement. C'est du Glennfiddich, un pur malt... quand penses-tu?
- Excellent! Viens t'asseoir à mes côtés Madeleine.
Je repose mon verre sur la table ronde vitrée et l'enlace dans mes bras. Dans le fond de ces yeux danse une flamme vive où je plonge en l'embrassant passionnément. Je sens le frémissement de sa peau sous mes mains. Sa bouche est de miel et je ne peux m'en séparer.

A l'extérieur, les éléments se sont calmés. La roue du temps tournant inlassablement depuis le Commencement, où l'Univers n'était qu'un atome retenant prisonnier en son sein une colossale énergie. La nuit a cédé sa place à l'aube, une nouvelle journée débute.
Etant réveillé le premier, j'en profite pour préparer non sans mal le petit-déjeuner en faisant le moins de bruit possible. Pendant que l'eau chauffe pour le café, je m'appuie contre le chambranle de la chambre à coucher. Madeleine s'étire tel un petit chat. Je m'approche du lit. Les draps ont un peu glissé, dévoilant l'un de ses seins. Elle ne fait rien pour le cacher. Elle se penche en me tendant ses lèvres sur lesquelles je dépose un doux baiser.
- Bonjour ma chérie, bien dormi? J'ai dressé la table, tout est prêt!
- Tu es merveilleux. Le temps de passer une robe de chambre et j'arrive.
Assis côte-à-côte, nous savourons l'instant présent.
- Quel est le programme de la journée? me lance-t-elle en croquant à pleines dents dans une tartine débordant de confiture.
- Il me faut retourner au CERN auprès de Thorn. La remise en état de la télécommande doit être terminée. En conséquence, la première série de tests doit être effectuée au plus vite sur le Milkyway. Par la même occasion, je vérifierais le niveau des réparations sur les vaisseaux. Tu m'accompagnes?
- Avec grand plaisirs... je n'ai rien de spécial aujourd'hui car j'ai pris congé exprès pour nous.
Brave Madeleine... j'ai de la peine, car avec elle j'ai découvert un sentiment que je croyais perdu depuis la nuit des temps. Je m'en veux parce que je connais les chances incertaines d'aboutissements de notre union. Devant le miroir de la salle de bain, je me dévisage gravement... je ne peux me résigner à tout perdre. Ma décision est prise, irrévocable: j'exécuterais ma mission et reviendrais sur Terre pour Madeleine... si j'en rééchappe. Je le décide envers et contre tous, malgré la loi formelle régissant le statut des colonies fédérées et interdisant toute ingérence dans les civilisations protégées.
Je reviens vers la chambre à coucher. Madeleine, toute habillée, fini de se peigner. Lorsqu'elle se retourne, je vois une larme glisser le long de sa joue. Sur son doux visage une profonde détresse s'inscrit. Elle vient se blottir dans le creux de mon épaule en sanglottant.
- Pardonne-moi... je suis stupide de me laisser aller ainsi. Je... je rêvais à notre avenir; je le voyais plein de tendresse. Mais un pion manque sur l'échiquier de l'Amour... tu n'est pas de notre temps... Nous sommes des barbares à tes yeux... Toi l'Homme de l'espace qui a franchi des milliers d'années-lumière pour t'écraser sur cette Terre ravagée par des luttes intestines où les gouvernements sont trop orgueilleux pour reconnaître leurs faiblesses. Michel mon chéri... Personne ne connait son propre destin mais le tien est tout tracé. Tu vas t'envoler vers le firmament combattre le Mal, ce mal qui ronge insidieusement la galaxie et nous menaçant tel l'épée de Damoclès suspendue sur nos têtes d'ahuris...
- Mais... balbutiai-je devant tant de débit.
- Ne m'interrompt pas et laisse-moi finir! Tu es un soldat et tu obéis à une hiérarchie. Tu dois exécuter les ordres que tu as reçu et je ne t'en fais pas le blâme... moi-même je reçois les ordres de mon supérieur et les exécute sans renâcler. Tu as carte blanche m'as-tu dis... carte blanche sur tes sentiments et sur ceux d'autrui. Je ne t'en veux pas, je hais simplement le destin qui nous a réuni tout en sachant la précarité de notre union mais je le bénis en même temps de m'avoir fait découvrir de nouveaux horizons... Je t'aime Michel et je n'ai pas envie de te perdre!

Sans un mot, Madeleine m'amène au CERN. Un pâle soleil tente désespérément de traverser le voile de brume.
- Merci ma chérie. Ne te fait pas de souci, je te rappelle au plus vite... N'oublie pas! Je t'aime...
- Je t'aime... Salut!
Dans un crissement de pneus, la Ford reprend la route de Meyrin en direction de la ville. C'est à ce moment que j'aperçois mon Thorn arrivant au pas de course.
- Nom de Dieu! Michel... pff quelle course! Ca se corse... l'accès aux bâtiments du projet L3 a été interdit jusqu'à nouvel avis.
- Mais... commençai-je.
- Grouille! Suis-moi, je rentre à la maison. Je t'expliquerais en route.
Je n'ai jamais vu Thorn dans un état de surexcitation pareil. Tout en conduisant nerveusement, il me dresse un topo.
- Tout à débuté ce matin. Lorsque je suis arrivé au labo, j'ai de suite remarqué des gars de la Sécurité qui étaient en faction devant la salle des coffres. Je n'y ai pas prêté une attention particulière mais comme la porte d'un laboratoire adjacent était entrouverte, j'ai surpris une conversation téléphonique entre l'un des gardes et, je pense, un membre de mon équipe; j'ai clairement entendu cet agent transmettre l'interdiction formelle à quiconque de sortir du matériel de la chambre-forte.
- Mmmh... Je n'aime pas du tout cet état de fait.
- Attend Michel, ce n'est pas tout! Ils ont également reçu la consigne de transmettre l'identité de tout personne désirant y accéder. Cela signifie que la télécommande est inaccessible par les moyens normaux!
- Quelle poisse!
Un coup de frein énergique nous stoppe devant le portail de sa villa. Je descends du véhicule et rentre à l'intérieur. Par vidéocom, je convoque le reste de l'équipe pour la fin de l'après-midi; je leur fais un rapide résumé de la situation avant de rompre la communication.

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